Lutte contre le narcotrafic : la proposition de loi arrive à l’Assemblée

La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic arrive dans l’hémicycle à l’Assemblée nationale. Nouveau parquet national anticriminalité, gel des avoirs criminels, techniques d’enquête et répression renforcées… Ce que contient le texte adopté à l’unanimité par le Sénat. 

Issue d’un rapport sénatorial publié le 14 mai 2024, après plusieurs mois d’auditions menées par la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France, la proposition de loi transpartisane portée par un duo de sénateurs (Les Républicains et Parti socialiste), et soutenue par le gouvernement, est examinée, en séance, à l’Assemblée nationale à partir de ce lundi 17 mars, avec un vote le 25 mars. Quelque 500 amendements ont été déposés par les députés.

Adoptée à l’unanimité par la chambre haute, le 4 février, la proposition de loi visant à “sortir la France du piège du narcotrafic“ remodèle l’architecture judiciaire de cette lutte. “Cette unanimité va donner une impulsion décisive pour le passage à l’Assemblée nationale de ce texte“, a salué le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau. “Il y aura un avant et un après ce texte fondateur“, a-t-il déclaré.

Pour rappel, les violences liées au narcotrafic ont fait 110 morts et 341 blessés en 2024. Des chiffres en baisse par rapport à 2023 (139 morts et 413 blessées), relève le ministère de l’Intérieur. Mais cette baisse est liée à la fin de la guerre entre deux groupes criminels rivaux de Marseille (DZ Mafia et Yoda) à l’origine d’une part importante des narchomicides de 2023.

Ce que contient le texte

Création d’un parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), mesures anti-blanchiment, procédure pénale simplifiée, nouveaux outils pour les enquêteurs… La proposition de loi “Narco trafic“ doit permettre, selon Bruno Retailleau, de “reprendre le contrôle“, face à une “menace existentielle“.

Le texte qui arrive ce lundi dans l’hémicycle, contient pour cela une série de mesures visant doter les autorités de nouveaux outils pour lutter contre des phénomènes criminels transnationaux. Avec un objectif : que la France ne bascule pas vers un “narco-Etat“. A l’issue de son examen en commission des Lois, le 7 mars, les députés ont validé la plupart des mesures phares du texte. Ils ont, en revanche, supprimé certaines dispositions votées au Sénat, comme la possibilité pour les enquêteurs d’accéder, sous conditions, à des conversations issues de messageries chiffrées.

Création d’un parquet spécialisé

La proposition de loi remodèle l’architecture judiciaire de la lutte contre le narco trafic, avec la création d’un parquet national anticriminalité organisée (Pnaco). Véritable “incarnation“ de la lutte contre le narcotrafic, il traitera sur le modèle des parquets nationaux financier (PNF) et antiterroriste (PNAT), les crimes les plus graves, et se verra attribuer un rôle de coordination de l’action judiciaire des parquets.  Une proposition de loi organique a été adoptée en parallèle pour définir le statut du procureur de la République à la tête de ce nouveau parquet, qui serait opérationnel début 2026. Le ministre de la justice, espère le voir installé “par défaut à Paris , même si une mission de préfiguration pourrait proposer d’autres idées de lieu, comme Marseille.

La commission des lois a adopté un amendement visant à s’assurer que ce nouveau parquet anti-criminalité sera basé à Paris, tandis qu’un autre prévoit que les dispositions relatives au Pnaco s’appliqueront à partir du 1er juillet 2026. Les députés ont, par ailleurs, voté en faveur de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur qui sera en charge de ce nouveau parquet.

“Le Pnaco n’aura pas de compétence exclusive“, a expliqué Gérald Darmanin, qui a ajouté que ce nouveau parquet s’occupera des “affaires du haut du spectre“, c’est-à-dire des personnes présentant les signes de dangerosité les plus élevés.

Blanchiment et avoirs criminels

Plusieurs dispositions du texte s’intéressent au blanchiment d’argent, afin de “frapper les narco trafiquants au portefeuille“. Les préfets pourront ainsi fermer temporairement les commerces ou d’autres lieux (sandwicheries, épiceries de nuit, pressings, locaux associatifs…) qui blanchissent l’argent de la drogue ou y organisent des trafics. L’information des maires sur les suites données aux affaires liées au trafic de stupéfiants sera également renforcée.

Une procédure “d’injonction pour richesse inexpliquée“, pour obliger les suspects à s’expliquer sur leur train de vie incohérent avec leurs revenus légaux, a également été créée à l’initiative du Sénat. Les députés en commission ont toutefois supprimé du texte cette disposition.

De nouveaux professionnels seront soumis aux obligations de vigilance et de déclaration à Tracfin en cas d’opérations suspectes : vendeurs et loueurs de voiture de luxe ou de yachts, marchands de biens et promoteurs immobiliers. Les capacités de collecte du renseignement par Tracfin sont également étendues. La proposition de loi intègre enfin aussi une interdiction du recours aux “mixeurs“ de cryptoactifs, qui permettent de rendre l’origine de ces actifs numérique, intraçable.

Techniques d’enquête

Par amendement, le gouvernement a autorisé, à titre expérimental, les services de renseignement à intercepter des communications satellitaires dans les affaires de trafic de drogue. Une technique, déjà expérimentée en matière de terrorisme. Les messageries cryptées (comme WhatsApp, Signal, Telegram…) étant censées permettre techniquement aux services de renseignement d’accéder aux échanges cryptés des narcotrafiquants et criminels. Cette disposition n’a toutefois pas été conservée dans la copie de la commission, faisant l’unanimité contre elle, malgré la défense assurée par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau.

Repentis et “dossier coffre“

Pour encourager les dénonciations de réseaux criminels, le régime des “repentis“ est revu.  Sur le modèle de la loi anti mafia italienne, le Sénat a adopté une refonte de ce régime, considéré comme sous-exploité par rapport à son utilité pour repérer les têtes de réseaux criminels. Le statut serait ainsi rendu plus attractif, pouvant aller jusqu’à un système d’immunités de poursuites. Il est également élargi aux personnes ayant commis un crime de sang.

Pour la procédure pénale, le Sénat a introduit dans le texte la création d’un “procès-verbal distinct“, surnommé “dossier-coffre“, dans lequel seraient stockées des informations recueillies via des techniques spéciales d’enquête (surveillance, infiltration, sonorisation, etc.). Ce “dossier-coffre“ qui a pour but de soustraire au contradictoire certains éléments de procédure pour les techniques spéciales d’enquête les plus sensibles, comme le recours à des technologies de pointe, d’écoutes ou de balisages, est dénoncé par le Conseil national des Barreaux comme “une atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense“. Cette disposition, qui, selon les élus de gauche, restreint trop fortement les droits de la défense, a été supprimée par la commission des Lois.

Mesures pénitentiaires

Sur le plan pénal, une infraction, inspirée de la législation italienne “antimafia“, est prévue. Elle sera constituée par la seule appartenance à une organisation criminelle. Le recrutement en ligne par les narcotrafiquants de mineurs, via les réseaux sociaux, comme “petites mains“ ou “guetteurs“, sera sanctionné par un nouveau délit puni jusqu’à sept ans de prison et 150 000 euros d’amende. Des amendements sont venus compléter ce volet pénal : la saisie des véhicules utilisés pour des go fast, y compris ceux qui sont immatriculés à l’étranger, sera automatique.

Pour mieux lutter contre le trafic dans les outre-mer, le texte prévoit que la garde à vue “des mules“ pourra être prolongée jusqu’à 120 heures. Une interdiction administrative de paraître est également créée pour empêcher les trafiquants et leurs “petites mains“, de fréquenter les points de deal. Des mesures s’attaquent enfin aux trafics dans les prisons : les trafiquants, qui y poursuivent leur trafic, pourront voir leur peine maximale aggravée. L’administration pénitentiaire pourra également utiliser des drones pour prévenir l’introduction d’objets interdits par projection ou par drone (produits stupéfiants, téléphones portables…) et la sécurité des convois pénitentiaires sera renforcée. Les comparutions par visio seront enfin facilitées pour limiter les transfèrements de détenus particulièrement dangereux.

Des modifications suite à l’avis du Conseil d’État

Profitant de l’arrivée en séance de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, le garde des sceaux a introduit deux amendements, particulièrement controversés. Le premier concerne un nouveau régime d’isolement carcéral qui va mettre sous cloche la vie de 200 narcotrafiquants. Le deuxième vise à généraliser l’utilisation de la visioconférence dans la conduite des enquêtes, afin d’éviter les transferts (et donc les risques d’évasion) de la prison vers le tribunal de ces détenus particulièrement dangereux. Pour se prémunir d’une éventuelle faute, le garde de sceaux a soumis ses deux textes pour avis au Conseil d’Etat, qui a rendu son avis vendredi 14 mars.

S’agissant du premier amendement, ce dernier a estimé que la durée d’affectation à ce régime carcéral fixée à quatre ans par le ministre n’était “pas proportionnée“, estimant “préférable“ de la ramener à “deux ans renouvelable sous conditions“. Une suggestion validée par le ministère de la Justice qui a affirmé samedi  être “favorable“ à un amendement fixant cette durée “à deux ans renouvelable“. A propos de la généralisation de la visioconférence, le Conseil d’Etat a suggéré de limiter ce dispositif aux seules personnes détenues ayant fait l’objet d’une affectation au sein d’un quartier de haute sécurité. Le ministère, qui est également favorable à ce point, a précisé que la généralisation de la visioconférence ne s’appliquerait “pas à la phase de jugement au tribunal ».

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