Après proposition du président de la République, la nomination de Richard Ferrand à la tête du Conseil constitutionnel franchit une nouvelle étape. L’ancien president de l’Assemblée nationale est auditionné cette semaine par les deux chambres, qui vont devoir se positionner sur sa nomination. Une étape déterminante.
Sans surprise, c’est bien l’ancien président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand qui a été proposé le 10 février par Emmanuel Macron, pour prendre la tête du Conseil constitutionnel. Mais ce marcheur de la première heure, fidèle parmi les fidèles, doit désormais passer l’épreuve du Parlement, avant de devenir le premier des “Sages“.
Le Conseil, composé de neuf membres nommés pour neuf ans, se renouvelle par tiers tous les trois ans sur proposition du Président de la République, des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. En 2025, les mandats de trois membres, parmi lesquels le président de l’institution, Laurent Fabius, arrivent à leurs termes.
Un adoubement par le Parlement
Une fois sa nomination annoncée, toute personnalité pressentie pour entrer au Conseil constitutionnel, doit passer le cap de l’audition parlementaire. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, la commission des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat peut en effet se prononcer contre la nomination d’un membre par un vote à la majorité des trois cinquièmes. Pour l’audition du candidat du désigné par le chef de l’Etat, à savoir le futur président de l’institution, on additionne les votes des commissions des deux chambres. En application de la loi relative à l’application de l’article 13-5 Constitution, la commission des lois de l’Assemblée va ainsi auditionner M. Ferrand, et votera sur la proposition de nomination du chef de l’État, mercredi 19 février à 8h30. Au Sénat, cette audition aura lieu, le même jour, à partir de 11 heures.
Un profil qui fait débat
Le profil très politique de Richard Ferrand, grognard de la première heure de la Macronie, l’un des rares à pouvoir dire très franchement ce qu’il pense au chef de l’Etat, fait débat. A la commission des lois du Sénat et de l’Assemblée, le choix du président de la République, fait grincer des dents. Une levé de boucliers susceptibun possible blocage de la part des élus.
Les Républicains se rebiffent
La fronde continue ainsi de monter au sein des républicains, à l’Assemblée, comme au Sénat. “Les gens de la commission des lois que je rencontre me disent qu’ils n’ont pas envie de voter pour Richard Ferrand. Cela va grogner“, confiait ainsi récemment un membre de la droite sénatoriale. Plusieurs sénateurs LR de la commission des lois, avec qui Public Sénat s’est entretenu, font également part de leur déception après la proposition d’Emmanuel Macron. “Ça ne me réjouit pas vraiment de voir la présidence du Conseil constitutionnel échoir à une personne dont la connivence avec le chef de l’État est de notoriété publique et l’ignorance de la matière constitutionnelle aussi patente“, s’émeut l’un des cadres de la commission. Un sénateur LR prévenait même récemment : “Pour l’instant, une large majorité du groupe vote non“.
Richard Ferrand au Conseil constitutionnel : au Sénat, la droite exprime des avis « très négatifs », la gauche s’y oppose https://t.co/lvhvdxfb9q
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“Les avis sont très négatifs, surtout au vu de l’état de l’opinion. Les points les plus bloquants sont la personnalité et le manque de compétence, d’indépendance, mais aussi l’affaire des Mutuelles, frappée par la prescription“, épingle une sénatrice LR. En cause également, la présence déjà parmi les membres du Conseil constitutionnel, de deux macronistes : Jacqueline Gourault et Jacques Mézard. “Ça commence à faire beaucoup“, déclare un élu. Qu’il s’agisse d’un fidèle parmi les fidèles du chef de l’Etat, voilà qui fait en plus déborder le vase.
Côté Assemblée, Laurent Wauquiez, désormais en campagne pour la prise du parti, se montre aussi très sévère. Après avoir jugé dimanche sur BFMTV que le choix d’Emmanuel Macron “pose problème“, le chef de file des députés de droite a réitéré lundi soir son opposition, dans le huis clos du bureau politique de LR, avant d’annoncer à la veille des auditions : “Les députés Les Républicains ont décidé à l’unanimité de s’opposer à la nomination de Richard Ferrand à la tête du Conseil constitutionnel“. “C’est une personnalité qui pose un problème d’éthique, qui pose un problème d’impartialité, et qui pose un problème, parce qu’il n’a pas d’expertise juridique.“ “Le risque est un Conseil constitutionnel qui ne juge plus en droit, mais avec une dérive idéologique“, a t-il assuré.
🗣️ "Les députés Les Républicains ont décidé à l'unanimité de s'opposer à la nomination de Richard Ferrand à la tête du Conseil constitutionnel" annonce le président du groupe DR à l'Assemblée nationale, @laurentwauquiez pic.twitter.com/R37tJ8Ah7o
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Beaucoup y voient un moyen pour le candidat à la présidence des républicains, de se démarquer de son adversaire Bruno Retailleau. Le ministre de l’Intérieur ayant refusé de se prononcer sur le cas Ferrand au nom de la séparation des pouvoirs. Au gouvernement, on met déjà en garde : “Le Conseil constitutionnel ne doit pas être l’otage de considérations partisanes“, grondait un conseiller de l’exécutif interrogé par Playbook, lundi soir. Lequel prévenant qu’un rejet “créerait un précédent dommageable pour le socle commun“.
Une opposition frontale à gauche
Comme leurs collègues députés, les sénateurs socialistes annoncent qu’ils voteront contre cette nomination. “Je ne suis pas sûre qu’il coche toutes les cases que doit avoir un président du Conseil constitutionnel. On espérait quelqu’un de plus expérimenté“, argumente une sénatrice PS siégeant à la commission des lois. “Ce n’est pas le bon profil. Il faut quelqu’un de beaucoup plus indépendant d’esprit pour se hisser à la hauteur de la fonction. Et en matière de compétences juridiques, il ne remplit pas ses fonctions-là“, renchérit le sénateur de l’Hérault, Hussein Bourgi. Les deux sénateurs communistes s’opposeront eux aussi à ce choix. Quant aux représentants des écologistes, voteront également contre.
Richard Ferrand proposé à la présidence du conseil constitutionnel : "Nous voterons contre sa nomination", explique le député écologiste @Benjam1Lucas.#DirectAN pic.twitter.com/zP6OPwNVp5
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Existe t-il un risque sérieux de rejet de la candidature ?
En théorie, 74 voix sur les 122 membres des deux commissions des lois empêcheraient la nomination de Richard Ferrand. On peut imaginer que Philippe Bas nommé par Gérard Larcher pour intégrer le Conseil, ne prenne pas part au vote, ce qui ramène à 73 voix sur 121. “On parle ici de suffrages exprimés, c’est-à-dire que chaque abstention abaisse la majorité et joue en défaveur de Richard Ferrand“, précise Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université de Toulouse Capitole.
Certes les républicains pèsent lourd dans l’équation : une vingtaine au Sénat et six à l’Assemblée sur les 122 commissaires aux Lois. Si tous les députés et sénateurs de gauche des commissions des lois décidaient de voter contre, 31 % des voix seraient négatives. Dans l’hypothèse où tous les députés RN et de l’UDR (le groupe d’Éric Ciotti) se joindraient au mouvement, la part des votes contre passerait à 46 %. Donc très loin encore de la barre des 60 % synonyme de veto. Pour François Patriat, patron des sénateurs macronistes, le risque est négligeable. “Trouvez-moi 74 parlementaires entre l’Assemblée et le Sénat qui sont prêts à voter contre”, fanfaronnait-il le 12 février, auprès de Playbook.
Les solutions de secours
Mais quels seraient malgré tout les alternatives, dans le cas où la candidature de Richard Ferrand serait rejetée, mercredi 19 février, à l’issue des auditions devant la commission des lois de l’Assemblée nationale et devant celle du Sénat. La nomination par Emmanuel Macron d’une autre personne avant le 8 mars (date d’échéance du mandat de Laurent Fabius), serait la solution la plus évidente. “Il aurait alors intérêt à désigner une personnalité plus consensuelle, plus technique, moins politique“, relève Mathieu Carpentier.
Conseil constitutionnel : que se passe-t-il si le Parlement rejette la candidature de Richard Ferrand ?
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