Après un premier feu vert à l’Assemblée, le projet de loi de “vigilance sanitaire“, et sa mesure controversée de prolongation du passe sanitaire jusqu’au 31 juillet, est examinée par les sénateurs à partir de ce jeudi. Au Sénat où l’on qualifie les mesures souhaitées par le gouvernement, de “dérogations à nos libertés“, on ne compte pas donner un blanc seing à l’exécutif jusqu’à l’été.
Le “couac“ a été évité de justesse. A l’issue de deux jours de débats marqués par des passes d’armes et invectives dans l’hémicycle, les députés ont donné dans la nuit du mercredi 20 octobre, un premier feu vert au projet de loi “vigilance sanitaire“. A la clé, la possibilité controversée pour l’exécutif de recourir au passe sanitaire jusqu’au 31 juillet.
Reste que cette “victoire à la Pyrrhus“ a montré une nouvelle fois la fracture française sur la gestion gouvernementale de la crise. Symbole de la faible adhésion des députés au projet de loi : son adoption ne s’est faite qu’avec une marge de 10 voix. Pire, l’article 2 du projet de loi qui propose de proroger jusqu’au 31 juillet le régime de gestion de la crise sanitaire et donc, d’autoriser le recours au passe jusqu’à cette date, n’a été adopté qu’avec une voix de marge : 74 députés se prononçant en sa faveur, 73 s’y opposant.
C’est dans ce contexte que le projet de loi arrive à partir de ce jeudi au Sénat. Il devrait sortir profondément modifié de son passage au Palais du Luxembourg. Déposés en séance lundi, une soixantaine d’amendements , dont 18 émanant du seul rapporteur du texte, Philippe Bas (Les Républicains), annoncent déjà la couleur.
Vigilance sanitaire : les députés adoptent l'article 2 du texte (74 pour, 73 contre).
> Cet article ouvre la possibilité, si la situation sanitaire l'exigeait, de prolonger le #PasseSanitaire jusqu'au 31 juillet 2022.#DirectAN pic.twitter.com/9TJXzlxdC8— LCP (@LCP) October 20, 2021
Car la chambre haute n’entend pas donner de “carte blanche“ à l’exécutif. Dès la fin de l’été, son président s’est exprimé sur le sujet, en particulier sur l’avenir du passe sanitaire. Défavorable à une longue prolongation, il a plaidé pour un contrôle “régulier“ du Parlement sur cette question. Le Sénat sera “très sensible“ à l’équilibre entre libertés et sécurité, a ainsi prévenu Gérard Larcher le 20 septembre. Dans l’intervalle, le rapporteur du texte, Philippe Bas, a indiqué avoir déposé ce lundi plusieurs amendements qui vont profondément à l’encontre des mesures inscrites par l’exécutif dans le projet de loi.
Une fin de l’état d’urgence sanitaire le 28 février
Philippe Bas propose de modifier dès la première ligne le projet de loi, en limitant le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire, qui prendrait fin au 28 février 2022, et non plus au 31 juillet. Et donc, la possibilité pour le gouvernement d’imposer jusqu’à l’été un passe sanitaire. Selon lui, la date du 31 juillet est “déraisonnable“ et “pas démocratique“.
Interrogé à ce sujet sur France Info, le sénateur de la Manche estime que les mesures souhaitées par le gouvernement sont “des restrictions aux libertés“. “Au Sénat, depuis mars 2020, nous n’avons jamais accepté de déléguer nos pouvoirs pour des périodes aussi longues. Huit mois et demi, pourquoi pas un an ! estime t-il. “À partir du moment où nous sommes face à une dérogation aux lois sur les libertés et aux principes constitutionnels, nous ne l’acceptons que temporairement. Et trois mois et demi nous semble être une bonne période“, indique t-il.
Sur Twitter, Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat, est plus clair encore. “Le Sénat ne pourra pas autoriser le gouvernement à prolonger le recours au Passe Sanitaire en enjambant la présidentielle, jusqu’en juillet. Cet outil n’a pas vocation à durer si la situation sanitaire s’améliore et sans contrôle serré du parlement“, estime t-il.
Une territorialisation du pass sanitaire
Dans un deuxième amendement, le rapporteur du texte propose de prendre en compte la situation épidémique locale. “À partir du moment où il a rempli l’essentiel de son objectif, nous disons qu’il ne faut pas le maintenir partout“, déclare Philippe Bas. “Dans le cadre de l’adaptation des outils à la réalité de la crise sanitaire, nous disons : ne maintenons pas le passe partout et là où nous permettons au gouvernement de le maintenir s’il est nécessaire, seulement jusqu’au 28 février“, assure le sénateur de la Manche.
Dans les faits, le fameux sésame ne pourrait être obligatoire que dans les départements où moins de 75 % de la population (tous âges confondus) est complètement vaccinée. Au 10 octobre, c’était le cas d’environ la moitié d’entre eux, selon l’Assurance maladie. Le deuxième critère pour imposer le passe sanitaire, serait “ une circulation active du virus“ constatée “par un taux d’incidence élevé“, sans plus de précision chiffrée.
Lever une entorse au secret médical
Un troisième amendement entend également faire sauter l’un des points les plus polémiques du projet de loi : la possibilité pour les directeurs d’écoles et chefs d’établissement, de connaître le statut vaccinal de leurs élèves. Ceci afin d’exclure “toute discrimination en fonction du statut vaccinal“. La mesure supposée simplifier les campagnes de dépistage, vise à contraindre plus facilement les seuls non-vaccinés à suivre les cours à domicile, si un cas est positif dans leur classe. Ardemment défendue par l’exécutif, elle est dénoncée à droite comme à gauche, comme constituant une sérieuse entorse au secret médical.
Le sénateur Philippe Bas alerte à ce titre contre un risque de discrimination : “Ce n’est pas au moment où l’épidémie marque le pas que l’on doit se mettre à faire des discriminations entre élèves, sur la base d’un statut vaccinal dont ils ne sont même pas responsables, puisqu’ils sont mineurs“, déclare t-il.
Amendement sur le statut vaccinal des élèves : «Une mesure de bon sens », justifie Bergé (LREM)
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Une “clause de revoyure“
Le projet de loi, adopté par les députés, contraint enfin le gouvernement à présenter au Parlement un rapport “au plus tard le 15 février 2022“. Ce document doit détailler quelles mesures auront été maintenues d’ici là et pourquoi, le cas échéant, il compte les maintenir “sur tout ou partie du territoire“. Insuffisant pour la droite sénatoriale qui s’apprête à introduire jeudi dans le projet de loi, une “clause de revoyure“ dans le projet de loi, qui imposerait au gouvernement de repasser devant le Parlement avant fin février.