Immigration : ce que contient le projet de loi ?

Plusieurs fois reporté, le projet de loi immigration arrive sur la table du Conseil des ministres ce mercredi. Création de titres de séjour pour les “métiers en tension“, facilitation des expulsions, renforcement des contrôles aux frontières.. Le point sur les principales mesures d’un texte qui divise jusque dans la classe politique.

Cela sera à n’en pas douter une des lois qui fera le plus débat en France en 2023, avec celle visant à réformer les retraites. Le projet de loi asile et immigration, porté par les ministres de l’Intérieur et du Travail, Gérald Darmanin et Olivier Dussopt, est présenté en conseil des ministres ce mercredi, avant d’être examiné par les sénateurs, puis par les députés au printemps. Le texte de 25 pages et 27 articles, vise à “contrôler l’immigration“ et à “améliorer l’intégration“, conformément à la volonté d’Emmanuel Macron de trouver un équilibre entre “fermeté et humanité“.

Des mesures pour faciliter les expulsions

Comme indiqué depuis plusieurs mois, le projet de loi vise avant tout à favoriser les expulsions, notamment par une réforme “structurelle“ du droit d’asile et du contentieux des étrangers.  Conformément aux déclarations de Gérald Darmanin depuis l’été, le texte entend ainsi faciliter l’expulsion des étrangers ayant commis des délits ou crimes en France et réduit les protections contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF). C’est l’objet de l’article 9 qui vise notamment à “faciliter les expulsions des étrangers ne respectant pas les valeurs de la République et commettant des infractions sur le territoire national.“

Alors que le taux d’exécution des OQTF se situe sous les 10 %, l’exécutif veut aussi “simplifier les règles du contentieux “étranger“, qui engorge les tribunaux administratifs. C’est l’objet de l’article 10 du texte qui vise à “réduire le champ des protections contre les décisions“  d’OQTF en cas de faits commis “constituant une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État.“  Le projet de loi permet également d’accélérer les expulsions d’étrangers délinquants, en passant de douze recours possibles contre les expulsions à quatre.

Des titres de séjour pour les “métiers en tension“

Parmi les mesures phares du texte figure la création, via l’article 3,  d’un permis de séjour pour les étrangers en situation irrégulière qui travaillent dans métiers en tension. Cette carte de séjour temporaire mention “travail dans des métiers en tension“ aura une durée de validité d’un an. Elle sera disponible “de plein droit“ à tout étranger qui a exercé une activité professionnelle salariée figurant dans la liste des métiers en tension, depuis au moins huit mois sur les vingt-quatre derniers mois, et qui justifie d’une période de résidence ininterrompue en France, d’au moins trois ans. Cette mesure instituée “à titre expérimental“ est dans un premier temps  “prévue jusqu’au 31 décembre 2026“, date à laquelle un bilan étudiant la pertinence de sa pérennisation, sera remis au Parlement.

Saluée par plusieurs syndicats et patrons de secteurs en tension tels que la restauration, la mesure est conditionnée à une mise à jour de la liste des métiers en tension car beaucoup de professions concernées n’y figurent pas aujourd’hui.

Une nouvelle carte “talent“ pour les professionnels de santé

Le texte prévoit également la création d’une carte de séjour pluriannuelle “talent – professions médicales et de pharmacie“. Y seront éligibles, les médecins, quelle que soit leur spécialité, les sages-femmes, chirurgiens-dentistes et pharmaciens. Selon l’article 7 du projet de loi, ce titre de séjour est destiné aux professionnels de santé diplômés hors Union européenne, et à leur famille, “dès lors qu’ils sont recrutés par un établissement de santé public ou privé à but non lucratif .“ Le projet de loi prévoit de conditionner la délivrance du titre à une autorisation de l’agence régionale de santé. Sa durée de validité, de 1 a 4 ans, dépendra de la validation par le praticien des “EVC“, les épreuves de vérification des connaissances.

Toujours pour rendre plus efficace l’intégration des étrangers, l’article 4 prévoit quant à lui “un dispositif d’accès au marché du travail sans délai pour les demandeurs d’asile dont il est fortement probable, au regard de leur nationalité, qu’ils obtiennent une protection internationale en France.“

Une meilleure connaissance de la langue

L’article 1 du projet de loi conditionne quant à lui la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle (CSP) à la maîtrise d’un niveau minimal de la langue française,  déterminé par décret en Conseil d’Etat. Actuellement, l’obtention d’un titre de séjour est conditionnée à la seule participation à une formation linguistique. La loi se durcit et oblige par ailleurs l’employeur à accompagner l’effort d’apprentissage de la langue de son employé étranger.

Un meilleur contrôles aux frontières et une répression plus forte

Parmi les autres dispositions du projet de loi, figure un renforcement des contrôles aux frontières. Via l’article 11 du texte, l’exécutif entend autoriser “le recours à la coercition pour le relevé des empreintes digitales et la prise de photographies“ des migrants contrôlés aux frontières. La disposition vise également à “permettre aux gardes-frontières d’inspecter visuellement des véhicules particuliers“, qui échappent à ce type de contrôle.

La lutte contre les passeurs n’est pas oubliée. L’exécutif, avec son article 14, souhaite “criminaliser la facilitation en bande organisée, de l’entrée et du séjour d’étrangers en situation irrégulière“, qui ne constituait jusqu’à présent qu’un délit. Les peines alourdies pourront désormais aller jusqu’à vingt ans de prison et 1,5 million d’euros d’amende.

Une réforme du système d’asile

Le gouvernement veut également engager une “réforme structurelle“ de l’asile. L’accès au marché du travail pourrait être ainsi autorisé, dès l’introduction de la demande, pour les demandeurs d’asile originaire d’un pays figurant sur une liste fixée annuellement, détaille le projet de loi. La liste en question n’a pas été dévoilée mais elle devrait concerner en priorité les Afghans, première nationalité de reconnaissance de l’asile, selon Eurostat. Actuellement, les demandeurs d’asile ne sont pas autorisés à travailler durant les six premiers mois d’examen de leur demande d’asile.

Nous voulons clarifier beaucoup plus vite la situation des étrangers arrivés sur notre sol. D’une part, nous voulons accélérer les procédures de demande d’asile (…) et d’autre part, nous souhaitons éloigner plus rapidement ceux qui doivent l’être“, a affirmé la Première ministre, Elisabeth Borne, lors de la présentation du texte à l’Assemblée, le 6 décembre dernier.

Un recours élargi à un juge unique à la CNDA

Le projet de loi prévoit d’élargir le recours à un juge unique à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), qui statue essentiellement de façon collégiale, tout en laissant à la Cour “la possibilité de renvoyer à une formation collégiale lorsque la complexité de l’affaire le justifiera“. Il prévoit également la création de “chambres territoriales du droit d’asile“, “gage de proximité et d’accessibilité pour les demandeurs“, alors que la CNDA est actuellement basée en région parisienne.

Tirant les leçons de la crise de l’Ocean Viking, le texte comporte également une batterie de mesures visant à rendre les jugements plus rapides sur ce volet et sur l’accueil de migrants. Il porte ainsi à 48 heures le délai de jugement du juge des libertés et de la détention (JLD) en zone d’attente, en cas de placement simultané d’un nombre important d’étrangers.

Un projet contesté à droite

Reste désormais à obtenir l’aval du Parlement, où le projet de loi a déjà fait l’objet d’un débat houleux et sans vote, au début du mois de décembre. Par sa volonté d’allier la lutte contre l’immigration illégale et régularisation par le travail, le texte est décrié par la droite, qui dénonce un “en même temps“. L’exécutif entend pourtant s’appuyer sur cette dernière pour faire adopter son texte.

Les Républicains ont déjà posé de sérieuses lignes rouges et ont annoncé qu’ils ne voteraient pas ce dernier en l’état, et ce malgré les nombreux appels du pied de Gérald Darmanin. “On est prêts à discuter, ce texte sera très ouvert aux amendements. On n’a jamais été aussi loin et aussi efficacement sur le sujet, je ne vois pas comment les LR ne pourraient pas nous soutenir“, a déclaré le ministre de l’Intérieur. “Une partie des LR a bien compris que nous faisons des propositions de bon sens. Je le sais parce que j’en viens : tout ce que les LR ont toujours demandé sur l’immigration, nous le proposons“, a t-il ajouté.

Un point d’achopement

Reste que le volet régularisation par le travail du texte,  provoque un rejet massif de la droite. C’est le cas tout particulièrement du titre de séjour “métiers en tension“, pour les travailleurs sans-papiers. La disposition constitue le principal point d’achoppement avec Les Républicains (LR), qui voient là un “appel d’air“. Intransigeants sur la question, ces derniers ont fermement exprimé leur opposition à ce texte, Eric Ciotti, patron du groupe, considérant que le gouvernement faisait “semblant d’imposer des mesures plus fermes“. Toujours selon le patron de LR, une telle mesure traduirait “le défaitisme de l’Etat qui faute d’être capable de maîtriser l’immigration s’en accommode“, quand Bruno Retailleau, le chef de file des sénateurs Les Républicains, fustigeait l’ouverture des “vannes de l’immigration.

 

 

 

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