Impôt mondial sur les multinationales : le chemin semé d’embûches du G20

Le G20 Finances s’ouvre ce vendredi 9 juillet à Venise, avec pour priorité, la réforme de la taxation des multinationales. Un dossier majeur qui pourrait se heurter à des obstacles malgré le feu vert donné par 130 pays à cette initiative. A la clé, trois objectifs : rallier les pays de l’UE récalcitrants, trouver un accord sur les taux et lever les objections de Washington sur la création par l’UE d’une taxe numérique.

Sous présidence italienne, les grands argentiers des dix-neuf pays les plus riches du monde et de l’Union européenne se retrouvent en présentiel pour la première fois depuis leur réunion de février 2020 à Ryad, au tout début de la pandémie de Covid-19.

Avec un triple enjeu pour ce sommet. D’abord, rallier les pays récalcitrants qui jouent les trouble-fête et rechignent à endosser le taux d’impôt minimal mondial sur les sociétés “d’au moins 15%“ prévu par l’accord conclu sous l’égide de l’Organisation de développement et de coopération économique (OCDE), le 1er juillet. Mais également, lever les objections de Washington sur la taxation du numérique.

Un feu vert attendu sur la taxation des multinationales

La fiscalité internationale doit franchir un cap historique à l’occasion de ce G20. Les ministres des Finances des 20 Etats les plus puissants de la planète vont en effet tenter d’entériner l’accord historique signé par 130 pays de l’OCDE sur un taux minimal d’imposition de 15% sur les sociétés. Quelque cent multinationales, dont les géants de la “tech“ sont concernés par la réforme.

A priori, le feu vert des 19 pays les plus riches du monde et de l’Union européenne semble acquis : tous ont déjà approuvé le cadre général de la réforme négociée le 1er juillet 2021 sous l’égide de l’Organisation de développement et de coopération économiques (OCDE), y compris la Chine et l’Inde.

Mais la partie ne s’annonce pas gagnée d’avance. Les tractations continuent en effet pour rallier des pays récalcitrants. La Hongrie, l’Irlande (dont le modèle économique repose sur un régime fiscal très favorable aux multinationales) et l’Estonie notamment se montrent pour le moment réfractaires. Affichant des taux d’imposition nationaux inférieurs pour attirer les investissements, elles refusent pour l’instant d’accepter le taux d’impôt minimal mondial sur les sociétés “d’au moins 15%“ prévu par l’accord. Or leur ralliement est primordial pour l’UE : l’adoption d’un impôt minimum par une directive européenne nécessite l’unanimité des Vingt-Sept. Le ministre italien de l’Economie, Daniele Franco, dont le pays assure la présidence du G20, s’est toutefois déclaré “confiant“ quant aux chances de conclure “un accord politique“ à Venise.

Les GAFA en ligne de mire

Nous mettrons tout en œuvre pour convaincre les États européens de se rallier à ce compromis“, a promis pour sa part, mardi, le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire. Car l’objectif premier de l’accord attendu, est d’éviter que les multinationales et surtout les Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple), qui ont largement profité de la pandémie de la covid-19, paient des impôts dérisoires au regard de leurs revenus.

Une fois ce nouveau système fiscal en place, aux alentours de 2023, les taxes numériques nationales imposées à présent par la France, l’Italie ou encore l’Espagne, seront vouées à disparaître. L’Union Européenne compte néanmoins annoncer sous peu sa propre taxe numérique censée financer son méga plan de relance de 750 milliards d’euros. Un projet sur lequel Washington met son veto, y voyant une mesure discriminatoire à l’égard des géants américains de la technologie. Le parcours est semé d’obstacles, notamment au Congrès américain où Joe Biden ne dispose que d’une majorité fragile et où les républicains sont farouchement opposés à la réforme.

Des incertitudes sur le taux

Le taux d’“au moins 15 %“ pour un impôt mondial n’est pas encore gravé dans le marbre. La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, devrait tenter de pousser ses homologues du G20 à négocier un taux minimum plus élevé. Washington plaide depuis le début pour un taux de 21 %. Or trois membres de l’Union européenne (Irlande, Hongrie et Estonie) font partie des huit pays à avoir refusé d’approuver l’accord, critiquant notamment le taux. “La France va se battre avec beaucoup de force pour que le taux de la taxation minimale soit supérieur à 15%“, a déclaré pour sa part à l’AFP le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire.

Aucune décision sur ce sujet n’est attendue à Venise, ont indiqué des responsables du Trésor. Le seuil définitif devrait être fixé d’ici le sommet des dirigeants du G20 en octobre à Rome et dépendra en partie de l’issue des négociations au Congrès sur le taux d’impôt sur les bénéfices des sociétés américaines réalisés à l’étranger que l’administration Biden veut faire passer de 10,5% à 21%.

La taxation du numérique : l’autre pomme de discorde

Autre point de discorde : la taxation du numérique. Lorsque Donald Trump bloquait les négociations à l’OCDE, les Européens avaient décidé de créer une taxe sur les géants numériques à leur niveau. Si l’arrivée au pouvoir au début de l’année de l’Administration Biden à la Maison-Blanche a permis de débloquer des tractations enlisées depuis quatre ans, les Etats-Unis et l’Europe ne sont pas parvenus à un consensus. En échange de la reprise des pourparlers, Washington a en effet demandé aux vingt-sept de s’engager à retirer leurs taxes existantes. Les pays qui en ont à l’échelle nationale, dont la France, le Royaume-Uni et l’Italie, ont promis de le faire quand les nouvelles règles internationales entreront en vigueur.

Mais l’Union européenne n’a pas abandonné la partie. “Cette taxe qui doit financer le plan de relance de l’UE, sera annoncée dans les prochaines semaines et s’appliquera à des centaines d’entreprises, la plupart européennes“, a déclaré à Reuters Margrethe Vestager, la vice-présidente de la Commission européenne. Cette dernière a fixé la date de l’annonce au 14 juillet. La numéro deux de la commission a précisé que l’UE poursuivrait son projet de taxe numérique, car son objectif est différent de celui de l’accord de l’OCDE.

Selon le commissaire à l’Économie, Paolo Gentiloni, cette taxe européenne n’a effectivement “rien à voir avec les propositions antérieures de l’UE“: elle  “ne vise pas les entreprises américaines en particulier“ et n’aboutirait pas à une “double taxation“ qui se superposerait à celle de l’OCDE. “Nous sommes conscients des inquiétudes de l’Administration américaine“ a assuré le ministre des Finances français, Bruno Le Maire, sans toutefois dissiper jusqu’alors les doutes de Washington.

Quelle issue pour ce conflit?  “Soit les Américains sont assez puissants pour faire retirer le projet européen, soit les Européens réduisent le champ de leur proposition, par exemple en exemptant les entreprises américaines“, indique au Figaro, Eulalia Rubio, chercheuse à l’Institut Jacques-Delors. Au risque toutefois de vider la taxe de sa substance, de réduire les ressources espérées pour le plan de relance, évaluées par la commission à 1,3 milliard d’euros par an et, au final à taxer les PME européennes sans toucher les Gafa.

 

 

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