Le projet de loi justice arrive dans l’hémicycle sur fond d’émeutes

Dans un contexte de fortes tensions, l’Assemblée nationale s’empare ce lundi du projet de loi de programmation de la Justice. Un texte ambitieux qui s’annonçait plutôt consensuel, mais qui dans un contexte politique compliqué avec les récentes émeutes, prend un tour polémique.

Malice du calendrier, dans un contexte d’émeutes urbaines, le garde des sceaux Éric Dupond-Moretti, va défendre à partir de ce lundi et jusqu’au 11 juillet deux textes consacrés à la réforme de la justice. A savoir : le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice, déjà examinée au Sénat, et la loi organique sur l’ouverture, la modernisation et la responsabilité de la magistrature.

Un budget de 11 milliards d’euros

L’ex avocat promet une hausse “inédite“ du budget. Le texte fixe pour cela une trajectoire ambitieuse des moyens alloués à la justice, avec un objectif de 11 milliards d’euros en 2027 contre 9,6 milliards aujourd’hui, soit une hausse de près de 60% (article 1er).

Les mesures phares du projet de loi d’orientation et de programmation de la justice

Le projet de loi d’orientation et de programmation qui comporte 29 articles présente le budget de la justice sur la période 2023-2027. Il détaille les objectifs et les moyens du ministère, simplifie et améliore la procédure et l’organisation de la justice.

15000 nouvelles places de prison

Pour faire face à la surpopulation carcérale, il est prévu la construction de 15 000 nouvelles places de prison ainsi que la rénovation énergétique des bâtiments et la réhabilitation du parc existant. Ce plan doit permettre d’atteindre un taux d’encellulement individuel de 80% sur la totalité des établissements du parc, contre 40,4% aujourd’hui. Une partie de ces nouvelles places sont créées au sein de nouvelles structures d’accompagnement vers la sortie.

10.000 personnes embauchées

Le projet de loi prévoit par ailleurs l’embauche de 10.000 personnes supplémentaires à l’horizon 2027, dont 1.500 magistrats et 1500 greffiers en cinq ans. “L’objectif est simple : je veux diviser par deux l’ensemble des délais de justice d’ici à 2027“, indique le garde des sceaux. C’est “ambitieux, mais jouable“, assure le député et rapporteur général du texte Jean Terlier (Renaissance).

Lors de l’examen en 1ère lecture du projet de loi, les sénateurs ont modifié l’article premier pour mettre l’accent sur les greffiers, avec 1800 postes, ainsi que l’embauche de 600 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP).

Le texte prévoit aussi l’équipement des agents pénitentiaires en terminaux mobiles polyvalents et en caméras-piétons, et la modernisation des systèmes d’information.

Une réécriture par ordonnance de la procédure pénale

Le projet de loi autorise le gouvernement à réécrire par ordonnance le code de procédure pénale (article 2), dont beaucoup soulignent la complexité actuelle avec ses plus de 2400 articles. Lancé en janvier, le chantier devrait durer au moins un an et demi et le ministre s’est engagé à ce que le nouveau code n’entre pas en vigueur avant d’avoir été ratifié au Parlement.

Une activation à distance des téléphones portables pour certaines enquêtes

Le très large article 3 du projet de loi fait controverse, avec sa batterie de mesures qui concernent l’enquête, l’instruction, le jugement et l’exécution des peines. Parmi les mesures phares, cet article prévoit l’extension du recours aux perquisitions de nuit, actuellement réservées aux affaires de terrorisme et de criminalité organisée. Une disposition votée en première lecture par les sénateurs.

Point le plus décrié par la gauche, cet article permet d’activer à distance les téléphones portables et objets connectés de personnes visées dans des enquêtes pour terrorisme, délinquance et criminalité organisées, afin de capter images et son. Ce n’est “pas Big Brother“, insiste le co-rapporteur Erwan Balanant (MoDem), qui souligne que seules les affaires “les plus graves“ sont concernées, “quelques dizaines“ seulement, et que l’approbation d’un juge sera indispensable. Pour autant, des avocats et défenseurs des libertés publiques sont déjà montés au créneau contre une “atteinte à la vie privée.“ 

Pour le reste, cet article prévoit pêle-mêle, une modification du régime des perquisitions, une réforme du statut du témoin assisté, une limitation de la détention provisoire, le choix laissé au procureur d’ouvrir ou non une information judiciaire, une unification des délais de renvoi en matière de comparution immédiate, un placement sous assignation à résidence sous surveillance électronique en cas de détention provisoire irrégulière.

Réformer le statut des magistrats

Le projet de loi d’orientation et de programmation  est complété par un projet de loi organique modernisant le statut de la magistrature. Le texte simplifie l’accès à la magistrature, notamment afin de diversifier le profil des candidats. Ainsi, les personnes ayant une expérience professionnelle antérieure adéquate – comme les avocats – pourront plus facilement intégrer la profession. De manière plus générale, c’est une petite révolution qui se prépare pour les magistrats, avec de nouvelles conditions de recrutement, d’évaluation, d’avancement, de représentation et de dialogue social. Enfin, le parcours des justiciables auprès du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) en cas de recours sera simplifié. Et les pouvoirs d’investigation du CSM seront renforcés.

Un examen dans un contexte éruptif

Alors qu’une partie de l’opposition a salué lors de sa présentation une grande partie des mesures de la réforme dévoilée par Éric Dupond-Moretti, le contexte politique et social risque de peser lourdement sur les débats. Hasard du calendrier, l’examen du texte intervient en effet au pire moment, dans un contexte politique compliqué marqué par plusieurs nuits d’émeutes en France consécutives à la mort du jeune Nahel. Si les deux projets de lois ont été adoptées sans difficulté au Sénat, le passage dans l’hémicycle s’annonce d’ores et déjà houleux. 1400 amendements ont d’ailleurs été déposés.

Les Insoumis sont en effet vent debout contre la disposition de l’article 3 du texte qui prévoit l’activation des téléphones à distance sans le consentement du propriétaire. Quant aux Républicains, ils pourraient estimer que le texte ne va pas assez loin. “Il faut qu’il y ait des incarcérations quasi systématiques“, a réclamé dimanche le patron de LR Éric Ciotti qui demande d’ajouter 5000 nouvelles places de prison supplémentaires au plan prévu, pour atteindre un parc pénitentiaire de 80.000 places en 2027. Sinon “je ne voterai pas cette loi“, a t-il décrété. De quoi freiner les envies de réforme de la majorité. “On pensait un peu avancer sur les sujets de régulation carcérale… Ça va être plus compliqué“, indique Erwan Balanant, un des rapporteurs du texte.

Reforme justice Memo
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