Loi de programmation militaire : un budget historique, mais au chiffrage contesté

Adopté en commission le 12 mai, le projet de loi de programmation militaire arrive  à l’Assemblée nationale ce lundi. Un texte crucial dont le chiffrage du budget de 413 milliards d’euros, est toutefois contesté par les groupes d’opposition.

C’est un budget présenté comme “historique“ par le ministère des Armées : 413 milliards d’euros sur sept ans (2024-2030) pour répondre “aux menaces“ actuelles. Après son adoption en commission le 12 mai dernier, le projet de loi de programmation militaire est débattu dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale à partir de ce lundi 22 mai à 16 heures, avant un vote solennel le 6 juin. Malgré des gages donnés aux différents groupes politiques, le texte fait grincer des dents dans les bancs de l’opposition. Principal grief : le chiffrage du budget.

Un investissement “historique“

Dans un contexte international très dégradé en raison de la guerre en Ukraine, ce projet de loi revêt une importance majeure. Quatorzième texte du genre depuis 1960, il prévoit 413 milliards d’euros sur sur la période 2024-2030, soit une hausse de 40% par rapport la précédente loi de programmation. Dans le détail, la LPM prévoit 400 milliards d’euros de crédits étalés sur sept ans auxquels doivent s’ajouter 13,3 milliards de recettes extrabudgétaires. Ce budget sera abondé en plusieurs étapes : dans un premier temps, 3,1 milliards d’euros seront ajoutés au budget des armées en 2024, puis 3 milliards d’euros par an de 2025 à 2027, et enfin 4,3 milliards par an à partir de 2028. Au grand dam des oppositions qui demandent que les efforts les plus importants arrivent avant la fin du quinquennat du président Emmanuel Macron.

Plus de moyens pour la dissuasion nucléaire

Face au retour de la guerre en Europe et à la montée des tensions internationales, le texte affiche une volonté de préserver des moyens souverains, en premier lieu la dissuasion nucléaire. En raison de sa modernisation (futurs sous-marins lanceurs d’engins, missiles M51 et ANS4G), cette dernière consomme à elle seule 13% des crédits. C’est le “montant de l’assurance-vie“ qui permet parallèlement d’avoir moins de forces conventionnelles, juge Thomas Gassilloud, président de la commission de la Défense. Le budget de lutte contre les cyberattaques grimpe lui de 300%, à quatre milliards d’euros.

Des blindés pour remplacer ceux cédés à l’Ukraine

Les équipements, avions et blindés, représentent 268 milliards d’euros. Le budget consacré à leur entretien est en hausse de 40%, soit 49 milliards d’euros, tout comme celui de l’entraînement des forces, estimé à 65 milliards d’euros. Sur cette enveloppe, cinq milliards d’euros seront affectés dans cette loi à la construction du nouveau porte-avions à propulsion nucléaire français, Dans un amendement au projet de loi, le gouvernement prévoit d’ici à 2030 de commander 130 blindés supplémentaires (38 Jaguar et 92 Griffon) pour remplacer les chars légers et véhicules blindés cédés à l’Ukraine. Il s’agit d’un “remplacement par des capacités équivalentes pour préserver le format des armées afin de répondre aux contrats opérationnels“, d’après l’entourage du ministre des Armées.

Le projet de loi de programmation militaire entend aussi remédier à des faiblesses mises en lumière par le conflit en Ukraine, notamment pour augmenter les stocks de munitions (16 milliards d’euros, +45%) ou les dispositifs de défense sol-air (5 milliards). Deux fois plus de moyens sera également consacré aux drones, soit 5 milliards d’euros, ainsi que 5 milliards au renseignement et 2 milliards aux forces spéciales.

Des reports de livraison de matériels

Dans un cadre contraint, ces hausses budgétaires conduisent à des décalages de livraisons de matériels à l’après-2030. Les armées recevront 2.300 nouveaux blindés sur la période, soit 30% de moins que prévu auparavant. En 2030, l’armée de l’Air disposera de 137 Rafale contre un objectif initial de 185 et de 35 avions de transport A400M, contre 50, tandis que la Marine ne pourra compter que sur trois des cinq frégates de défense et d’intervention. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu assure “privilégier la cohérence sur la masse“ afin de s’assurer que les matériels et militaires soient effectivement opérationnels.

Pour accompagner les évolutions structurelles des armées françaises, le texte consacre en outre des investissements sur la cybersécurité, le spatial ou le renseignement. Deux fois plus d’argent sera consacré aux drones, soit 5 milliards d’euros, ainsi que 5 milliards au renseignement et 2 milliards aux forces spéciales. Un quart sera enfin alloué aux ressources humaines des armées.

Les oppositions septiques sur le chiffrage

L’aspect proprement budgétaire est contesté par de nombreux groupes d’opposition. La Cour des comptes émet elle même des doutes sur la planification des 13,3 milliards d’euros de recettes extrabudgétaires qui seraient financés, selon la feuille de route du gouvernement, par des “recettes extrabudgétaires“,  comme des cessions immobilières. Pierre Moscovici, premier président de la Cour juge ces estimations “incertaines“, ce qui devrait alimenter les débats alors que plusieurs groupes de l’opposition critiquent déjà le chiffrage gouvernemental.

Le vote LR incertain

Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, a donné des gages aux différents groupes politiques de l’Hémicycle, dans l’espoir de faire voter le projet malgré l’absence de majorité absolue pour l’exécutif. Pour autant, “tout peut basculer à n’importe quel moment“ estime un observateur avisé, en référence à l’absence de majorité absolue pour le gouvernement dans l’Hémicycle. Lors du vote du texte en commission, la plupart des députés d’opposition se sont abstenus, notamment à gauche et au Rassemblement national (RN).

Les regards seront surtout une nouvelle fois tournés vers les députés Les Républicains (LR). Si la droite devrait soutenir l’exécutif sur les grandes lignes d’un texte défendu par un ministre issu de ses rangs, il est peu probable, à ce stade, que le groupe vote comme un seul homme. La question de l’abstention se pose en effet pour certains.  Le chef de file des députés LR Olivier Marleix avait envoyé un premier signal en avril en obtenant la suspension de la LPM de l’ordre du jour. Déplorant “des choix pas tout à fait à la hauteur des risques“, il a estimé depuis dans Le Figaro que les 413 milliards ne permettent que “de maintenir le niveau de notre armée après des décennies de disette“. Il déplore en outre que 13,3 milliards doivent découler de ressources extra-budgétaires, ce qui rend selon lui ces crédits incertains. Ce qui faisait dire hier soir à un député LR : “Je vois mal comment Marleix peut emmener le groupe vers un soutien au texte après toutes les critiques acerbes qu’il a formulé.

La Nupes en ordre dispersé

La Nupes, quant à elle, est sur le pied de guerre. “Ça va être un texte très très politique et très dur en séance“, anticipe ainsi l’Insoumis Bastien Lachaud, de la commission de la Défense. “Ce n’est pas la même chose pour le gouvernement si la LPM est adoptée à la majorité absolue ou dans un océan d’abstention“, ajoute t-il. Il sera toutefois difficile pour l’alliance de gauche d’avoir une position commune sur la LPM. “Il y a une fracture énorme entre les écologistes et les socialistes d’un côté, et les Insoumis de l’autre“, affirmait hier soir au téléphone le président de la commission Défense Thomas Gassilloud. Les écologistes ont fait savoir qu’ils s’opposeraient au projet d’un futur porte-avion, tandis que les communistes feront valoir leur volonté de sortir de la dissuasion nucléaire.

Les députés LFI Bastien Lachaud et Aurélien Saintoul présentent d’ailleurs à la presse ce lundi en début d’après-midi leur propre “contre-projet“. Les grandes lignes en sont : une sortie du commandement intégré de l’Otan, la fin des partenariats industriels avec l’Allemagne, l’affirmation d’une France comme puissance indépendante. Bien loin donc des positions socialistes et écologistes — même si Bastien Lachaud insiste, lui, sur le fait que plusieurs amendements sur des sujets importants ont été co-signés par des députés Insoumis, écologistes et socialistes.

 

 

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