Motion de censure : quels scénarios en cas de chute du gouvernement ?

Après le déclenchement par le Premier ministre de l’article 49-3 de la Constitution, les députés vont se prononcer ce mercredi sur les deux motions de censure déposées, en riposte, par les groupes de l’opposition. Quels scénarios en cas de chute du gouvernement ? Que va t-il se passer pour le budget 2025 ?

Le compte à rebours est enclenché. Et quand il atteindra le zéro dans quelques heures, la France n’aura plus de gouvernement. L’arithmétique politique est implacable : sauf ultime et improbable rebondissement, Michel Barnier et ses ministres tomberont. Après avoir déclenché l‘article 49.3 de la constitution, ce lundi 2 décembre, sur le projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS), les oppositions ont annoncé déposer deux motions de censure. La première, par le Nouveau Front Populaire (NFP), sera votée par le Rassemblement national (RN), a indiqué lundi Marine le Pen. La seconde, déposée par le RN et et de ses alliés ciottistes du groupe Union des droites pour la République (UDR) , ne devrait pas recueillir la majorité des voix des députés.

Un débat mercredi 4 décembre

La conférence des présidents de l’Assemblée nationale a tranché : les deux motions de censure seront examinées le mercredi 4 décembre, à partir de 16 heures. Elles seront débattues en même temps dans l’hémicycle. Dans les faits, c’est la motion de censure qui a recueilli le plus de signataires qui sera votée en premier. En l’occurrence, celle du Nouveau Front populaire. C’est le président de la commission des finances, le député Insoumis, Éric coquerel, qui prendra la parole en premier, pour “mener l’accusation““ contre le gouvernement.

Ce sera ensuite à l’orateur de la seconde motion de censure, celle de l’extrême droite, de s’exprimer. Dans un deuxième temps, le Premier ministre montera à la tribune pour se défendre, sans limite de temps. Enfin, les neuf autres groupes prendront la parole pour expliquer leur choix. A l’issue du débat, les députés se prononceront d’abord sur la motion du NFP.  Les députés peuvent soit voter la censure, soit ne pas prendre part au vote, mais il n’y a pas de vote “non“ dans cette procédure. Si la motion des groupes de gauche réunit les suffrages nécessaires, celle déposée par le Rassemblement National ne sera pas votée.

Ordre des prises de parole et des temps de passage

Un seuil de 288 voix pour renverser le gouvernement

Pour être recevable, une motion de censure doit ainsi être signée par un dixième des députés de l’Assemblée nationale (577 députés), soit par au moins 58 d’entre eux. La première motion, déposée par les quatre groupes du Nouveau Front populaire, a recueilli 185 signatures, faisant quasiment le plein à gauche, y compris l’ex-président (PS) François Hollande. Seule la députée (Lozère, PS) Sophie Pantel a pour l’instant fait savoir qu’elle n’entendait “pas soutenir“ une démarche jugée  “inefficace“. De l’autre côté de l’hémicycle, la motion du RN et de son allié,  l’UDR, a été paraphée par la totalité des 140 députés des deux groupes d’extrême droite.

Il suffit cette fois de 288 voix pour faire tomber le gouvernement (compte tenu des trois places laissées vacantes par des démissions), soit la majorité absolue des 577 sièges de l’Assemblée. Au total, l’addition des députés de gauche qui siègent dans les groupes du NFP et de ceux du RN suffit largement à dépasser le seuil fixé pour provoquer la chute du gouvernement. Les oppositions coalisées n’auront même pas besoin de l’appoint des 23 élus centristes du groupe LIOT, dont d’ailleurs “aucun député n’a l’intention de voter la censure à ce stade.“ Ainsi, sauf retournement de situation improbable, Michel Barnier sera invité à quitter Matignon ce mercredi 4 décembre dans la soirée.

La censure du gouvernement Barnier serait alors historique. Sous la Vᵉ République, une seule motion de censure a été adoptée jusqu’à présent, en 1962. Elle visait Georges Pompidou, et à travers lui le général de Gaulle.

Un nouveau Premier ministre

En cas de vote de la censure, le Premier ministre deviendra démissionnaire comme le prévoit l‘article 50 de la Constitution. Son gouvernement restera alors en place pour expédier les affaires courantes, le temps qu’un successeur soit nommé par Emmanuel Macron. Sauf à renommer Michel Barnier, comme le demandent les députés macronistes. Interrogé mardi soir sur ce point, le Premier ministre a écarté “en cas de censure de son gouvernement, la possibilité d’être renommé à Matignon“, s’interrogeant sur le “sens” d’une telle option.“  “J’ai envie de servir mais mais qu’est-ce que ça a comme sens que si je tombe demain, on me retrouve là après-demain comme si rien ne s’était passé“ ? a t-il affirmé

Deuxième scénario, celui réclamé par les oppositions, le chef de l’État change de Premier ministre. Echaudé par ses trois mois de “coopération exigeante“ avec Michel Barnier, Emmanuel Macron serait selon Le Monde, tenté de nommer à Matignon le discret ministre de la défense, Sébastien Lecornu, devenu au fil des ans un pilier de son dispositif. Autre option stratégique, la nomination à Matignon du président du MoDem, François Bayrou, lui aussi sur les rangs.

Une troisième option consisterait à reconnaître que le Nouveau Front populaire, bloc arrivé en tête aux législatives, a la légitimité de gouverner. Dans ce cas, LFI plaide pour que Lucie Castets soit appelée à Matignon, conformément à l’accord de juillet. Mais cela, coince au PS. Compte tenu des circonstances politiques, et de la difficulté avec laquelle a émergé le nom de Michel Barnier, la possibilité d’avoir rapidement un nouveau locataire de Matignon reste quoiqu’il en soit, incertaine. Quel que soit le profil retenu, les grands équilibres à l’Assemblée nationale ne bougeront pas, tant qu’une nouvelle dissolution ne sera pas intervenue. Et ce, pas avant juillet 2025, au mieux.

Comment doter la France d’un budget ?

 De la sécurité sociale

Si le gouvernement Barnier est renversé, le texte sur le financement de la Sécurité sociale serait considéré comme “mort né“. Une telle hypothèse a été évoquée en des termes très alarmistes par Elisabeth Borne : “Si le budget de la Sécurité sociale est censuré, cela veut dire que, au 1er janvier [2025], votre carte Vitale ne marche plus“ et que “les retraites ne sont plus versées“, a déclaré l’ancienne première ministre. Un propos sans doute exagéré si l’on se fie aux explications de Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale : si la France se retrouvait sans PLFSS en début d’année prochaine, l’Etat-providence “ne s’immobiliserait pas pour autant sur-le-champ“, dit-assuré, ajoutant : “Les prestations sociales seraient versées et les cotisations continueraient d’être collectées.“ Reste qu’en cas de censure du gouvernement et du rejet du texte, le mode d’emploi pour un dispositif d’urgence reste à écrire. Le cas de figure ne s’est en effet jamais présenté depuis la création des PLFSS en 1996, et la loi organique reste muette à ce sujet. “Sur le PLFSS, on n’a pas de joker, pas de plan B“, soulignait à la sortie de la CMP la sénatrice LR Corinne Imbert, rapporteure de la branche maladie de la Sécurité sociale.

Et le budget de l’État ?

Dès la censure du gouvernement, l’examen du projet de loi de Finances (PLF) de l’État s’arrêtera net. Dès lors, il paraît impossible pour un nouveau Premier ministre de déposer un budget et de le faire voter avant le 31 décembre. Pour autant, s’agissant du budget de l’État, plusieurs options existent pour éviter ce scénario catastrophe.

Le vote d’une loi spéciale

Option la plus crédible : le nouveau gouvernement, ou l’équipe démissionnaire, peut demander aux deux assemblées de voter une “loi de finances spéciale“ qui permet, selon l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF),  de reconduire le budget de 2024 en attendant la validation d’une nouvelle feuille de route dans les règles de l’art. Concrètement, le gouvernement sollicite alors “d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts“. Puis, il ouvre des crédits par décret dans la limite du montant de l’année précédente pour les services qui sont jugés indispensables et qui permet à l’Etat de continuer de fonctionner.

Le bureau des lois de finances rattaché à la direction du Budget, a ainsi commencé à travailler sur une “loi spéciale”. Sur le papier, cette dernière n’est censée contenir qu’un seul article, qui autorise le gouvernement à percevoir les impôts. Selon L’Opinion, le secrétariat général du gouvernement envisage d’en insérer trois autres afin de garantir la continuité de l’Etat. Le deuxième autoriserait l’Agence France Trésor à lever de la dette pour l’Etat. Le troisième permettrait à l’Acoss, la Caisse nationale centrale des Urssaf, de faire de même. Enfin, un dernier article sécuriserait les financements de la France à l’Union européenne.

Promulguer le PLF par ordonnance

Pour éviter un “shutdown“ à l’américaine, un second scénario, plus hypothétique existe : l’activation de l’article 47 de la Constitution. Celui-ci permet au gouvernement de promulguer son projet de loi de finances par ordonnance, sans vote, si jamais le Parlement ne s’est pas prononcé dessus au bout de soixante-dix jours. Mais la possibilité qu’un gouvernement censuré puisse utiliser cet article divise les spécialistes. L’adoption d’une motion de censure pourrait en effet signifier que le Parlement s’est prononcé, en l’occurrence contre. Enfin, la dernière option est sans doute la plus éruptive : en théorie, Emmanuel Macron pourrait recourir à l’article 16 de la Constitution (celui des “pleins pouvoirs“), pour imposer ses décisions budgétaires par décret.

 

 

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