Projet de loi immigration : ce que contient le texte qui arrive au Sénat

Présenté il y a un an et maintes fois reporté, le projet de loi immigration entame son marathon parlementaire. Discuté à partir de ce lundi au Sénat, le texte comprend plusieurs volets qui divisent la classe politique. Deux points cristallisent particulièrement les tensions : la régularisation de certains travailleurs étrangers et la suppression de l’AME. Tour d’horizon des principales dispositions.

C’est un texte sulfureux qui arrive au Sénat dans un contexte particulièrement difficile, marqué notamment par l’attentat d’Arras. Ajourné à maintes reprises depuis son annonce à l’été 2022, le projet de loi immigration entre enfin dans le vif du sujet, avec l’examen en séance au Palais du Luxembourg, à compter de ce lundi 6 novembre. Sur le plan purement politique, ce texte qui divise la majorité pourrait avoir de lourdes conséquences, puisque rien ne sera possible sans l’aval des Républicains. “Il y a un compromis politique à trouver“ a déclaré Gérald Darmanin, dimanche soir sur France 2. Convaincu qu’une “voie de passage“ existe, le ministre de l’Intérieur s’est déclaré “opposé“ au recours à l’article 49.3 de la Constitution, qui permettrait au gouvernement de passer en force.

Soucieux de répondre à ce qu’il considère être une attente des français, le projet de loi a été présenté par l’exécutif comme tenant d’un “équilibre entre une jambe droite et une jambe gauche“. En clair, le texte qui contient 27 articles et plus de 600 amendements comporte un volet répressif pour “être dur avec les étrangers délinquants“ et “un volet d’intégration“, “pour les gens qui travaillent“, avait résumé il y a quelques mois le ministre de l’Intérieur.

Les points d’achopement

La régularisation de certains travailleurs étrangers

Au cœur de la mésentente, l’article 3, qui vise à régulariser des travailleurs sans papiers dans les “métiers en tension“. Il permettrait à ceux présents sur le territoire depuis trois ans d’obtenir un titre de séjour spécifique “métiers en tension“, valide un an. Un “appel d’air“ et un encouragement à l’immigration pour Les Républicains (LR), une mesure nécessaire pour l’aile gauche de la majorité. Au sein du gouvernement, on souffle le chaud et le froid en se disant prêt à trouver des compromis, mais récemment le locataire de la place Beauvau a réaffirmé son attachement à ce dispositif, dont la droite a fait une ligne rouge. Sans surprise, le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau a d’ailleurs déposé un amendement de suppression. L’idée, pour l’exécutif, serait donc de bouger sur la forme pour ne pas froisser la droite tout en apaisant les craintes de son aile gauche. “Je pense que le titre de séjour avec l’article 3 est une bonne méthode mais si une autre solution émerge du débat parlementaire, pourquoi être fermé ?“, s’est interrogé sur France 3 le ministre du Travail Olivier Dussopt.

Autre point d’achopement, l’article 4 qui permettrait à certains demandeurs d’asile d’avoir immédiatement accès au marché du travail, contre un délai d’au moins six mois après introduction de leur demande actuellement. Là encore, les LR sont vent debout contre cette mesure.

La suppression de l’aide médicale d’Etat (AME)

Un autre point du projet de loi devrait susciter des discussions entre droite et majorité : l’Aide médicale d’Etat (AME). Une couverture intégrale des frais de santé accordée aux étrangers présents en France depuis au moins trois mois. LR qui juge le système de santé trop généreux avec les sans-papiers, a profité de sa position de force au Sénat pour ajouter en commission, au mois de mars, un article transformant l’AME en une aide médicale d’urgence (AMU), au périmètre et aux conditions d’accès beaucoup plus restreints. La proposition des sénateurs de LR a les faveurs du ministre de l’intérieur. Mais elle suscite des dissensions au sein du camp présidentiel. Les propositions des Républicains ont été dénoncées par le ministre de la Santé Aurélien Rousseau et le porte-parole du gouvernement Olivier Véran. La Première ministre Élisabeth Borne quant à elle a commandé un rapport sur cette question début octobre. Ses conclusions sont plutôt favorables au maintien de l’AME telle qu’elle existe actuellement.

La limitation du regroupement familial

 Bien décidés à resserrer le regroupement familial, les élus de la majorité sénatoriale de la droite et du centre en ont restreints en commission les conditions, via l’ajout de deux nouveaux articles au projet de loi. La condition de séjour exigée pour qu’un étranger résidant en France puisse formuler une demande de regroupement familial pour l’un de ses proches, a été ainsi rallongée de 18 à 24 mois. Concernant les conditions de ressources, elles ne devront plus être uniquement “stables et suffisantes“, mais également “régulières“. La commission a aussi imposé au demandeur de disposer d’une assurance maladie pour lui et sa famille. Plusieurs sénateurs LR entendent profiter des débats en séance publique pour durcir encore un peu plus le dispositif. Stéphane Le Rudulier, élu des Bouches-du-Rhône, a ainsi déposé un amendement qui prévoit d’abaisser à 16 ans, au lieu de 18 ans, l’âge maximal d’éligibilité au regroupement familial pour les enfants du demandeur.

Le volet “intégration“

Concernant l’aspect intégration, le projet de loi (article 1er) entend “conditionner la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à la maîtrise d’un niveau minimal de français“. Les sénateurs ont doublé cette exigence d’un examen civique, avec des questions relatives à l’histoire et à la culture française. Les bénéficiaires du regroupement familial devront également faire montre d’un niveau de langue minimal avant leur arrivée sur le territoire national. L’article 2, supprimé par la commission, visait quant à lui à étoffer la formation en langue française des salariés étrangers. Le gouvernement et la gauche entendent réintroduire ce dispositif.

Le volet répressif 

Sur l’aspect répressif, le projet de loi entend faciliter les éloignements des étrangers ayant commis des actes criminels ou délictuels passibles d’au moins dix ans d’emprisonnement (cinq ans pour les récidivistes). Le tour de vis concerne principalement les articles 9 et 10, qui doivent faciliter l’exécution des obligations de quitter le territoire (OQTF), en levant les protections dont peuvent bénéficier certains étrangers en raison des liens, familiaux notamment, qu’ils ont pu développer en France et ce, même s’ils résident dans l’hexagone depuis plusieurs années.

La gauche voit dans la mesure, un retour de la “double peine“, qui permet d’associer une condamnation de justice et une expulsion. Du côté de LR, Bruno Retailleau a déposé un amendement autorisant clairement “le juge judiciaire à prononcer une peine complémentaire d’interdiction du territoire français à l’encontre de tout étranger reconnu coupable d’une infraction, quel que soit son degré de gravité“. Dans le même esprit, le projet de loi prévoit de supprimer les protections d’éloignement, notamment pour les mineurs étrangers arrivés en France avant l’âge de 13 ans, en cas de “menace grave pour l’ordre public“.

Accélération de l’instruction des demandes d’asile, délivrance d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) dès le rejet en première instance, division par trois du nombre de recours possibles, décentralisation de la Cour nationale du droit d’asile… Autant de mesures qui sont également inscrites dans la “réforme structurelle“ voulue par le gouvernement. A la clé un double objectif : traiter plus rapidement les demandes et faciliter les expulsions.

 

 

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