Projet de loi immigration : l’heure de vérité à l’Assemblée nationale

Le projet de loi immigration arrive ce lundi dans l’hémicycle du Palais Bourbon. C’est une  version réécrite du texte, réécrite et amputée en commission des mesures les plus dures introduites au Sénat, que vont examiner les députés dans un climat incertain. Car, le projet de loi menacé par une motion de rejet du groupe écologiste, pourrait être rejeté d’emblée dans les premières heures.

Après des semaines de tractations en coulisses et de multiples rebondissements, le projet de loi immigration arrive enfin dans l’hémicycle, à partir de ce lundi 11 décembre. Une nouvelle haie à franchir pour le camp présidentiel, avec toujours autant d’incertitude sur sa capacité à réunir une majorité, pour faire voter son texte. D’autant que l’examen du très attendu projet de loi immigration pourrait s’arrêter net, avant même l’ouverture des débats.

Un texte remanié

C’est une version remaniée par rapport au texte initial, que doivent examiner les députés. Un texte duquel ont été retirés ou réécrits en commission des Lois, les ajouts les plus corrosifs du coup de barre donné à droite par le Sénat. Une nouvelle version bien plus proche de l’équilibre initial du texte, qui emporte l’adhésion du camp présidentiel, après de fortes divisions sur la copie sénatoriale.

Parmi les mesures les plus emblématiques, les députés ont rétabli en commission l’Aide Médicale d’Etat (AME), permettant la prise en charge des soins pour les sans-papiers. L’article du Sénat qui transformait cette AME en aide médicale d’urgence, limitant drastiquement le panier de soins, a ainsi été supprimé. Exit également la version du Sénat sur le dispositif de régularisation des sans-papiers dans les métiers en tension. Alors que la chambre haute prévoyait une procédure totalement à la main du préfet, le “compromis“ adopté en commission, encadre la possibilité pour le préfet de s’opposer à sa délivrance, en cas de menace à l’ordre public, de non-respect des valeurs de la République, non-respect des valeurs de la République ou de polygamie.

Les députés ont aussi largement remanié un article qui prévoyait que le Parlement fixe chaque année des quotas d’immigration. Au grand dam de la droite, il a été transformé en une obligation pour le gouvernement de présenter et justifier, chaque année, au Parlement des “objectifs chiffrés“ pour les trois ans à venir. La version issue de la commission des Lois étend également l’interdiction de placement en centre de rétention administrative (CRA) à tous les mineurs, et plus seulement aux moins de 16 ans et, valide des propositions du gouvernement pour faciliter l’expulsion d’étrangers en situation régulière condamnés pour certains crimes ou délits. Sur le regroupement familial, plusieurs durcissements du Sénat ont été maintenus, à l’instar notamment de l’exigence d’une assurance maladie et de la nécessité de bénéficier de ressources régulières.

L’ombre d’une motion de rejet préalable

C’est sans doute le scénario le plus redouté par le camp présidentiel. A la manœuvre, le groupe écologiste qui défendra une motion de rejet préalable au texte, en fin de journée. Avant même d’être débattu dans l’hémicycle du Palais-Bourbon, le projet de loi sur l’immigration pourrait ainsi être rejeté dans les premières heures. Si les oppositions faisaient bloc autour de cette motion de rejet, l’examen du texte et des 2620 amendements déposés, serait interrompu d’emblée à l’Assemblée.

Les LR divisés, le RN attentiste

C’est la menace que laisse planer le patron du groupe LR, Éric Ciotti dans un entretien au Parisien , samedi 9 décembre. Pour le président des Républicains, pas question de voter à l’Assemblée nationale le projet de loi du gouvernement, sauf à reprendre intégralement la version du Sénat.“Seul le texte sorti du Sénat, et uniquement celui-ci, nous convient“, martèle t-il, indiquant qu’un soutien ou non de son camp à la motion de rejet préalable portée par les écologistes sera tranché lundi. Éric Ciotti, qui juge que le projet de loi immigration a été “dénaturé“ depuis son adoption au Sénat par la commission des Lois de l’Assemblée, suggère qu’il serait logique de voter pour cette motion. Quand bien même celle-ci est issue de la gauche – Le groupe LR avait lui-même déposé une motion, mais que c’est celle des écologistes qui a été tirée au sort.-

La position du chef de file des Républicains n’engage certes pas nécessairement l’ensemble des élus LR qui sont partagés sur ce texte. “Le groupe LR n’est pas tout à fait homogène“ à l’Assemblée, a reconnu le rapporteur macroniste du projet de loi Florent Boudié, en mentionnant les “deux avis divergents en commission.“A l’instar de LR, le Rassemblement national (RN) s’interroge également sur l’opportunité de joindre ses voix à celles de la gauche sur la motion de rejet. Pour mieux semer le doute chez ses adversaires, le parti d’extrême droite ne dévoilera sa position que quelques minutes avant le vote. Mais certains macronistes veulent croire que le RN n’osera pas se priver de la tribune que représente pour lui un débat de deux semaines sur l’immigration à l’Assemblée nationale.

Une alliance contre nature pour Darmanin

Gérald Darmanin, a quant à lui estimé vendredi que le vote d’une motion de rejet “serait absolument contre nature.“ “Arithmétiquement oui, les oppositions peuvent se coaliser et voter contre le texte. (Mais) ce serait la coalition entre la carpe et le lapin“, a commenté le ministre de l’Intérieur.

C’est peu dire que le gouvernement fait monter la pression sur la droite pour qu’elle soutienne le texte. Gérald Darmanin n’a pas fait dans la dentelle sur Brut dimanche après-midi : “Si dans un mois, parce que le texte est bloqué, quelqu’un va dans la rue donner trois coups de couteaux à des enfants alors qu’on aurait pu l’expulser, alors quelle est la responsabilité de ceux qui ne le votent pas ?“, a indiqué le patron de la place Beauvau.  Beauvau qui pointe d’avance l‘“incohérence totale“ des LR qui voteraient la motion de rejet des écologistes. Il serait incompréhensible, explique-t-on en substance, que la droite rejette un texte avant son examen alors même qu’elle réclame à corps et à cris que le parlement débatte du sujet migratoire tous les ans et que le groupe LR est celui qui a déposé de loin le plus grand nombre d’amendements : 657, soit un quart du total. Des propos confirmés ce lundi matin par le ministre lui-même : “Ce serait un déni de démocratie. Parce que la motion de rejet, c’est un rejet du débat“, a déclaré Gérald Darmanin sur Europe 1.

Horizons en soutien

Édouard Philippe a appelé mardi 5 décembre ses troupes à serrer les rangs derrière le gouvernement sur l’immigration. Pas question pour l’ancien Premier ministre d’être pris en défaut de loyauté sur le sujet de l’immigration. Alors qu’une partie des élus philippistes critique en privé le manque d’ambition du texte dans sa version issue de la commission des Lois, le président du parti leur a donné une consigne claire : “ voter pour le texte“.

Dans un entretien au Journal du Dimanche, le maire du Havre affirme que son parti, Horizons, qui occupe l’aile droite de la majorité, soutient sans ambiguïté le projet de loi. “Je veux dire mon soutien complet au texte qui a été proposé par Gérald Darmanin“, dit-il. “Il s’inscrit exactement dans ce que je crois et dans ce que je défends depuis mon passage à Matignon. Nous devons reprendre le contrôle de notre immigration et lutter contre l’immigration du fait accompli“, indique l’ancien locataire de Matignon, tout en avançant ses propres propositions, comme l’idée de “quotas de régularisation” pour les travailleurs sans papiers. De quoi donner un gage supplémentaire au groupe LR ?

Les trois options en cas d’adoption de la motion de rejet

Si le projet de loi est rejeté par l’Assemblée, le gouvernement disposerait alors de trois options. La première option serait que le texte reparte au Sénat, chargé de réexaminer la version que la chambre haute avait elle-même votée mi-novembre. Le projet de loi reviendrait dans un second temps à l’Assemblée nationale. La seconde option est celle de la convocation d’une commission mixte paritaire, pour tenter de trouver un compromis. La droite y serait majoritaire et aurait alors tout loisir d’imposer ses conditions. Enfin, la troisième possibilité serait que le gouvernement acte un retrait du texte, face au rejet des oppositions.

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